10-2. « ILS FONT LE TRAIL »

EPISODE#10-2 : L’INVENTEUR – Christophe Aubonnet

Envisageur concret. Champion polymorphe, créateur de Chose-à-courir-mais-pas-que, Sportif à Gamberge. La tête et les Jambes – Vécu all inclusive. On peut avoir l’idée plus pêchue que les cuisses de Tomba. Christophe Aubonnet semble le démontrer. Suite et fin de notre rencontre : écoutons un peu l’histoire d’un accrosportif, qui poétise l’outdoor sur le pas de sa porte. Entre un chien et des ruches, ça a l’air tellement simple.

JG : L’outdoor et toi. Tu disposes d’une vue d’ensemble : haut niveau individuel, ultra endurance, performance collective, montagne, matos… En éprouves-tu une facilité à anticiper les évolutions ?
CA : Quand tu as le privilège de vivre l’outdoor au quotidien, dans toutes les conditions, et que tu aimes la variété, tu fais vite des liens. Que ce soit pour les besoins, les pratiquants, leurs motivations ou l’équipement qui est nécessaire, ce vécu polyvalent permet de croiser les idées, de transposer des solutions d’un domaine a l’autre…voire d’en inventer d’autres.
Comprendre et anticiper de nouvelles tendances ? très humblement, cela repose sur l’expérience, la curiosité et la créativité. En ce qui me concerne, je n’en avais pas pleinement conscience au départ. C’était latent et il a fallu que j’ose, prenne confiance. La genèse du Snowblade (96), les skis courts en slalom (98), l’émergence du trail chez Salomon (dès 2001), les SpeedCross ou XaPro3D (2005-2006), l’aventure Hoka…j’ai eu la chance de croiser la route de nombreux projets de rupture. Ça a pris du temps, mais lorsque je regarde dans le rétroviseur, j’admets que je dois avoir quelques prédispositions pour innover – en particulier dans les domaines qui me passionnent.

JG : Que ressens-tu lorsque HOKA doit vite accepter que son développement se déroulera outre-Atlantique ? Toi, plutôt amoureux de ton territoire.
CA : Soyons réaliste : ce rachat par un groupe était une étape vitale pour le développement de l’entreprise, mais il risquait bien de signifier la fin de l’histoire pour nous. A coup sûr, la fin de ce cycle de lancement avec sa folie, ses doutes, ses craintes…mais aussi sa totale liberté d’innovation. Mais Il y avait aussi le secret espoir que la suite pouvait être très belle, et qu’on pouvait continuer d’y être associé. C’est ce qui s’est produit puisque Deckers a permis de changer de braquet, d’assurer un développement exceptionnel à la marque, tout en préservant et en respectant l’ADN français et savoyard. On a continué de jouer un rôle clef, diffèrent, adapté à la structure qui a grandi à toute vitesse mais bien présent sur de nombreux aspects, en particulier en conception produits.

JG : Restons sur le thème du collectif. Comment nait ton rôle vis-à-vis du Team trail HOKA, et quel est-il ?
CA : Au démarrage, Hoka était en quelque sorte une start-up de seniors ! Nous avions tous au moins 20 ans d’expérience dans l’industrie du sport et en 2009, au début de l’aventure, nous avions bien conscience de nombreux domaines á couvrir mais nous n’avions ni des ressources, ni un temps illimité. Le pilier central, c’était l’innovation produit et le concept qui avait germé dans nos tête. En parallèle, tous les autres volets pour construire/structurer une entreprise, étaient répartis sur chacun de nous. Avec mon héritage terrain et pratiquant, en plus de mon rôle central en prototypage – développement – innovation, je me suis naturellement occupé des tests terrain (le HTT : Hoka Test Tour) et des relations athlètes. Au gré des connaissances, des tests, le team a compté 3, puis 9, puis 15 ambassadeurs en 2011. Ensuite, Hoka s’est développé dans quatre univers du running, avec des athlètes en trail, route, athlé et triathlon. Je me suis occupé du Team Hoka pour la France et l’Europe jusqu’en 2016, tandis que la partie US était gérée directement par Hoka US…avec de sacrés coureurs également.
J’en retiens des sacrés perfs et victoires (doublé UTMB 2016 pour Caroline Chaverot et Ludo Pommeret, plus de 100 victoires et podiums cumulées en 2015) mais surtout ? une dynamique d’équipe qui nous a tous marqués. Avec quelques voyages et expériences rafraichissantes (Sicile, Madère, Val Thorens…). De sacrées belles rencontres, des personnes de valeur.

JG : Tu atteins l’âge de Raison (il y en a plusieurs) ; qui reste aussi celui des projets. Si tu devais changer quelque chose dans ton vécu ? ou réorienter l’azimut de vie, vers un domaine que tu n’as pu creuser.
CA : L’âge de raison ? celui de mon passeport ? C’est curieux parce qu’il ne correspond pas du tout à celui de mes envies ! Je continue d’être plein d’aspirations, de soif d’approfondir mes passions. Je sais aussi que certains rêves resteront inaccessibles. Mais je n’y ai pas renoncé : pas encore assez vieux ! J’aurai intimement aimé être secouriste en montagne. Pour la montagne, le sens de la mission, les affinités éprouvées avec ceux qui font ce métier. Mais là je l’admets, je crois bien qu’il est trop tard…Et puis photographe animalier aussi, au bout du monde. Et puis marin, convoyeur ou équipier de course au large. Et puis vétérinaire-chercheur en Arctique ou Antarctique, et puis maçon-charpentier en montagne, et puis aventurier-explorateur, et puis…
JG : La question est connue, mais nous avons débuté en parlant trail…alors nous te la posons : penses-tu un américain capable de remporter l’UTMB ? A quelles conditions ?
CA : Bien sûr, et je peux même dire que ça va arriver. Comment, que dis-tu ? quand ? et bien pas en 2020 à priori ! Si la question renvoie indirectement à Jim Walmsley, c’est l’un des prétendants et il le mériterait. C’est un super gars, talentueux et très bosseur, avec une personnalité qui ne laisse pas indifférente. Un certain nombre d’autres américains le mériteraient aussi. Souhaitons que ça arrive dans pas trop longtemps, que l’on soit encore là pour voir ça…et lors d’une belle édition avec les meilleurs, et un scenario de course passionnant. Quant à savoir dans quelles conditions, je pense que les lacunes ou manques des américains se nivellent d’année en année (robustesse pour affronter les météos exposées, ultra de plus de 15h, pas assez montagnards…) qu’ils vont pouvoir tirer parti de la densité de bons coureurs, de leurs qualités de rapidité. Il manque juste une dose de confiance et un zest de réussite. Le fighting spirit américain va parler. Mais quand ?!

JG : Aujourd’hui, te sens-tu plus proche de la sphère R&D, ou alors du Team Management ? 2 domaines aux implications humaines très différentes ?
CA : Mes missions et mon quotidien sont en lien direct avec l’innovation, et donc la dimension R&D. Je garde de nombreux contacts avec les athlètes, mais moins au contact immédiat. Humainement, je ne crois pas que ce soit si diffèrent. Les leviers de motivation, d’objectifs, de travail dans l’ombre, sont semblables. Comme pour un athlète qui s’entraine dur en solo ou en petit groupe, et qui apparait en compétition de manière ciblée, la partie visible de l’innovation vient quand un produit est présenté au grand public. Mais ce n’est que la concrétisation de tout le travail de fourmi fait dans l’ombre, depuis des mois ou des années.

JG : Quelles souvenirs les plus marquants retiendrais-tu de ton parcours ?
CA : Tu t’en doutes, l’exercice n’est jamais facile : intimement, on ne veut pas hiérarchiser les moments. Et quand les années passent et donnent à vivre tant de belles aventures, il y en a tellement. Le macro-souvenir qui s’est construit au fil des années, c’est de parvenir à être Finisher de la plupart des aventures dans lesquelles je me suis lancé (et ce n’est pas un hasard si c’est le nom de ma société d’évènementiel). Ce qui me marque le plus, c’est la quête d’équilibre, le besoin vital de pouvoir entreprendre et réaliser des projets peu ordinaires…tout en maintenant la bonne balance, l’harmonie entre les composantes essentielles de ta vie. Garder cet équilibre famille – passions – profession, c’est bien cela qui m’imprime, et dont je me réjouis le plus.

JG : Quel fut le pire ?
CA : La douleur, la perte d’un proche, d’un compagnon d’aventure. C’est le sel même de la vie que de ne jamais oublier sa fragilité. Mais nos modes de vie actuels, nos cultures/religions/éducations ne nous apprennent pas à composer avec la mort de manière très censée, je trouve.

JG : Toujours aussi motivé en 2020 pour tes missions, ou une furieuse envie d’aller voir ailleurs ?
CA : Oh que oui…toujours autant. La magie avec les années qui passent, c’est de faire le tri, de garder les bons filtres et de parvenir à se débarrasser des optiques déformantes et perturbantes. C’est de vivre les expériences plus simplement, d’être dans l’instant présent. Alors oui : je recommande de se nourrir encore et encore d’envie et de fraicheur, d’une bonne dose de folie, et de profiter de la sagesse qu’apporte le vécu. Le vécu, encore et toujours ! Et je veille à suivre cette ligne, avec d’autant plus de plaisir si elle est celle d’une rivière, d’une vague qui déferle ou d’une crête effilée.


Interview JULIEN GILLERON
Crédit photo ©CAubonnet15


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